Volume 2 : Vers de nouveaux sommets : les intérêts et l'avenir du Canada dans l'espace – Novembre 2012

Partie 3
Analyse et recommandations (suite)

Chapitre 3.3
Stimuler la capacité technologique et commerciale

Bien que l'approvisionnement public contribue grandement à l'innovation et à la position concurrentielle du secteur spatial canadien, il ne constitue pas le seul outil à la disposition du gouvernement pour aider le secteur à prospérer. En fait, à mesure que les progrès technologiques et les tendances mondiales rendent l'espace de plus en plus viable sur le plan commercial, les politiques et programmes gouvernementaux devraient davantage viser à créer un environnement qui aide les entreprises spatiales canadiennes à réussir non pas seulement dans le contexte des approvisionnements gouvernementaux, mais aussi sur le marché mondial.

[traduction] « Sans les nouvelles technologies, les liens entre les universités de différents pays et les travailleurs dûment qualifiés passant des universités aux laboratoires de [recherche-développement] industriels puis aux programmes de vol, les entreprises canadiennes finiront par ne plus être à la fine pointe et elles perdront leur raison d'être et leur compétitivité sur la scène mondiale. La compétitivité du secteur repose sur une solide capacité de recherche dans des groupes ayant une masse critique, qui entretiennent des liens étroits avec l'industrie et le gouvernement. »

Janet E. Halliwell, Tim Barfoot, Kieren Carroll, Gabriele d'Eleuterio, James Drummond, Gordon Osinski et Andrew Yau, The Academic Dimensions of Industrial Competitiveness, rapport de recherche préparé pour le Groupe de travail sur l'espace, juin 2012.

Ce succès dépendra du perfectionnement continu des technologies et du développement de nouvelles technologies qui anticipent et comblent les besoins des clients des secteurs public et privé au Canada et à l'étranger. Il faudra également des conditions propices à la créativité et à l'expérimentation par les entrepreneurs et les chercheurs.

Recommandation no 7 : Soutien au développement technologique

Le gouvernement joue un rôle crucial dans la stimulation de l'innovation grâce au financement de la R-D. C'est l'une des raisons pour lesquelles le budget de 2012 a resserré les règles d'admissibilité au programme d'encouragements fiscaux pour la recherche scientifique et le développement expérimental (RS&DE) en faveur d'un soutien plus direct à des idées et projets prometteurs. Ce soutien est particulièrement important dans un secteur comme l'espace, où l'avantage concurrentiel et l'avantage technologique sont si étroitement liés.

Les principaux programmes fédéraux ciblant la R-D appliquée dans le secteur spatial canadien sont le Programme de développement des technologies spatiales (PDTS) et le Programme de développement d'applications en observation de la Terre (PDAOT) de l'ASC. Au fil des ans, la proportion de financement consacré au PDTS par l'ASC a diminué à mesure que les budgets ont été réduits et que les ressources ont été réaffectées à d'autres activités : l'Agence octroyait à ce programme un financement annuel de 10 à 20 millions de dollars entre 2003 et 2010, pour le ramener à 4 millions en 2011-2012. Le financement du PDAOT est demeuré relativement stable pendant la même période, soit environ 5 millions de dollars par an.

Programme de développement des technologies spatiales

Le Programme de développement des technologies spatiales (PDTS) offre un soutien financier à l'industrie et au milieu académique pour stimuler l'innovation, améliorer la compétitivité du secteur spatial canadien et poursuivre le développement de technologies qui pourraient être requises pour de futures missions spatiales canadiennes.

Pendant les 10 dernières années, le PDTS a appuyé le développement d'une cinquantaine de nouvelles technologies, allant des matériaux en fibres de carbone autorégénérantes aux systèmes automatisés de vision permettant l'inspection de la navette spatiale.

Par exemple, ABB de Québec a reçu 500 000 $ du PDTS pour développer un interféromètre miniature (appelé MINT), instrument qui module la lumière incidente de manière à permettre une analyse plus détaillée d'une scène en observation. Cette technologie peut être utilisée dans un large éventail d'applications, notamment les instruments de télédétection pour la surveillance de l'environnement, de la défense et de la sécurité ainsi que les analyseurs industriels. Grâce à d'autres activités de recherche-développement portant sur cette technologie, ABB a développé une nouvelle famille d'analyseurs industriels à haut rendement et à faible coût vendus en grand nombre sur les marchés étrangers.

Étant donné l'importance de l'innovation pour la viabilité à long terme du secteur et l'ampleur des investissements d'autres pays dans la R-D spatiale, le niveau de soutien à ces activités doit être augmenté et protégé.

Il est recommandé que le financement total alloué aux activités de développement technologique de l'Agence spatiale canadienne soit augmenté de 10 millions de dollars par an au cours des trois prochaines années, puis qu'il soit maintenu à ce niveau.

La moitié de la hausse de financement recommandée devrait provenir d'une réaffectation des économies réalisées par suite du resserrement des critères du crédit d'admissibilité au programme de RS&DE, et l'autre moitié devrait être réaffectée des secteurs d'activité de l'ASC qui seront moins actifs par suite des recommandations formulées dans le présent rapport, notamment la supervision directe du processus de conception et de fabrication des actifs spatiaux.

Lorsque des fonds publics sont dépensés dans le but de stimuler des technologies novatrices, il importe que le soutien cible les secteurs les plus aptes à améliorer la compétitivité de l'industrie et à contribuer à la croissance de l'économie. À cette fin, les critères de financement de la R-D spatiale devraient accorder la préférence aux propositions qui :

Ballons scientifiques de haute altitude

L'ASC travaille en partenariat avec le Centre national d'études spatiales (l'agence spatiale française) et des administrations municipales afin de construire et d'exploiter une base à Timmins, en Ontario, à partir de laquelle des ballons scientifiques de haute altitude pourront être lancés. Les ballons peuvent emporter jusqu'à 1,5 tonne de matériel dans la stratosphère — à une altitude d'environ 40 kilomètres — pour recueillir des données sur l'environnement et l'atmosphère, ainsi que pour observer l'espace à l'aide de télescopes. Cette base de lancement offrira des possibilités rentables d'effectuer des recherches et de former la prochaine génération de chercheurs et d'ingénieurs dans le domaine spatial. Les préparatifs en vue du premier lancement devraient avoir lieu en 2013.

  • respectent les priorités du Programme spatial canadien approuvées par le Cabinet;
  • sont présentées par des consortiums regroupant l'industrie et des institutions académiques qui ont signé des ententes de partage de la propriété intellectuelle;
  • prévoient une démonstration de technologie ainsi qu'une R-D fondamentale;
  • incluent un solide plan d'affaires démontrant comment les activités proposées de développement de technologie déboucheront sur des produits et services commercialement viables et exportables;
  • ont un plan de gestion de projet clairement formulé, qui prévoit idéalement un certain partage des dépenses et des risques par les promoteurs.

L'évaluation des propositions devrait être effectuée conjointement par l'ASC et le CNRC, qui possède une expertise en ce qui a trait à la recherche industrielle et à l'offre d'aide aux petites et moyennes entreprises pour qu'elles développent des technologies qui présentent un potentiel élevé de commercialisation et de vente sur les marchés mondiaux. Une collaboration plus officielle entre les responsables des programmes du CNRC et ceux des programmes de développement technologique de l'ASC devrait également être envisagée.

Recommandation no 8 : Encouragement de l'activité spatiale commerciale

L'industrie spatiale mondiale s'ouvre petit à petit aux activités commerciales autres que les télécommunications par satellite. Les efforts déployés par la NASA pour stimuler le développement des services commerciaux de lancement en basse orbite et en devenir client éventuel constituent un élément moteur de cette tendance, tout comme la popularité croissante des applications reposant sur les données satellitaires, le développement de nouvelles technologies meilleur marché pour lancer des actifs dans l'espace et les exploiter, ainsi que l'intérêt de chercheurs et investisseurs sérieux pour le tourisme spatial, l'exploitation minière dans l'espace, les services de ravitaillement en carburant et d'entretien des satellites, la gestion des débris spatiaux et la récupération de l'énergie solaire dans l'espace aux fins d'utilisation sur Terre.

Bien que certaines de ces idées puissent s'avérer extravagantes, d'autres pourraient être visionnaires et produire d'énormes avantages pour leurs promoteurs et les pays où ils exercent leurs activités. Le soutien à la R-D recommandé ci-dessus aidera à encourager le développement des propositions les plus prometteuses, mais il est impossible de savoir avec certitude si une idée qui semble irréaliste aujourd'hui pourra donner lieu à une percée demain. Sans approuver des projets théoriques particuliers, les politiques et programmes publics peuvent créer les conditions pour que les entrepreneurs et les chercheurs mettent à l'essai et adoptent des approches créatives et, ce faisant, donnent une impulsion à l'activité du secteur spatial privé canadien à un moment où les affaires dans l'espace commercial prennent de l'ampleur.

L'espace commercial d'aujourd'hui et de demain

Quoique relativement modeste, l'activité spatiale privée à but lucratif prend de l'expansion. En voici quelques exemples :

Au Canada, exactEarth, une filiale de COM DEV, a mis au point un service de données de système d'identification automatique (SIA) utilisant la technologie des microsatellites et des nanosatellites. Il peut être utilisé pour surveiller le transport maritime et les pêches au-delà des eaux côtières. Il existe un vaste marché potentiel pour cette technologie, puisqu'elle pourrait intéresser les responsables de la surveillance et de la sécurité maritime ainsi que les sociétés de transport maritime qui souhaitent assurer un meilleur suivi de leur flotte. Récemment, le ministère de la Défense nationale a commencé à utiliser le SIA d'exactEarth pour fournir des renseignements et des données en temps réel sur la sécurité aux Forces canadiennes.

***

La société américaine Solaren développe actuellement un système de satellites qui produira de l'électricité à partir de panneaux solaires en orbite et la renverra sur Terre à une station de réception sous forme de micro-ondes. Les panneaux solaires spatiaux ont l'avantage de pouvoir produire de l'énergie sans interruption attribuable à la nuit, à la couverture nuageuse ou aux variations du vent, tout en évitant les effets filtrants des gaz atmosphériques. L'entreprise a déjà conclu un contrat avec Pacific Gas and Electric Company, important service public de transport d'électricité en Californie, en vue de fournir environ 1 700 GWh par an pendant 15 ans, soit assez d'électricité pour alimenter chaque année quelque 250 000 foyers. Le coût de l'électricité devrait être concurrentiel par rapport à celui d'autres sources renouvelables. Solaren a l'intention de commencer à fournir l'électricité dès 2016.

***

Au Royaume-Uni, Virgin Galactic entend offrir des vols spatiaux suborbitaux à des touristes de l'espace, des lancements suborbitaux pour des missions scientifiques spatiales et des lancements orbitaux de petits satellites. Dans un avenir plus lointain, elle espère offrir des vols spatiaux habités orbitaux et transcontinentaux.

À ce jour, plus de 540 clients ont versé chacun un acompte sur un billet évalué à 200 000 $ pour faire un tour de deux heures à bord de SpaceShipTwo, avion spatial de Virgin Galactic. L'entreprise s'est fixé comme objectif de commencer à envoyer des touristes aux confins de l'espace dès 2013, si les vols d'essai de l'avion-fusée sont concluants.

Il est recommandé que, lorsque les coûts sont modiques et qu'il n'existe aucun risque pour la sécurité publique, le gouvernement crée des conditions propices à l'expansion de l'activité commerciale dans le domaine spatial.

Diverses mesures aideront à créer ces conditions. Elles devront évoluer en même temps que les technologies spatiales et la dynamique du secteur. Les mesures qui valent la peine d'être envisagées immédiatement sont les suivantes :

  • Redoubler d'efforts pour obtenir des créneaux orbitaux géostationnaires pour les satellites appartenant à des intérêts canadiens. Comme l'espace est considéré comme un patrimoine mondial, seul le gouvernement peut négocier l'accès à ces créneaux et les mettre à la disposition d'entreprises privées.
  • Simplifier les régimes de réglementation qui couvrent les essais en haute altitude, les lancements suborbitaux et orbitaux et les vols spatiaux habités. Ces régimes doivent atténuer les risques inhérents à ces activités, mais un certain rajustement peut être utile en fonction des progrès technologiques et du désir d'encourager une expérimentation sécuritaire.
  • Mettre l'infrastructure publique, que ce soit les laboratoires de l'ASC et du CNRC dans de grandes villes ou les pistes peu utilisées dans des endroits isolés, à la disposition des entreprises à un coût modeste afin qu'elles puissent tester en toute sécurité de nouvelles technologies spatiales.
  • Adopter une politique sur l'accès ouvert aux données brutes non sensibles sur le plan de la sécurité qui sont produites par les satellites appartenant à des intérêts publics, en particulier ceux voués à l'observation de la Terre. Cette politique serait conforme aux tendances mondiales et au Plan d'action du Canada pour un gouvernement ouvert, et permettrait aux personnes et entreprises créatives d'ajouter de la valeur et de générer une activité économique en développant et en vendant une variété d'applications.
  • Étendre le traitement fiscal préférentiel dont jouissent actuellement ceux qui investissent dans des actions accréditives d'entreprises d'exploration minérale à ceux qui investissent dans l'activité commerciale spatiale, qu'elle soit ou non associée à l'exploitation minière. Même s'il est probable que peu de personnes se prévalent de cette mesure à court terme, elle pourrait encourager les efforts du secteur privé à long terme.
  • Conclure des ententes sectorielles bilatérales qui accroissent l'accès de l'industrie spatiale canadienne aux marchés mondiaux, notamment aux achats des gouvernements à l'étranger, conformément à la recommandation no 8 du volume complémentaire sur l'aérospatiale. Ces ententes permettraient de veiller à ce que l'application de toute exemption aux règles commerciales internationales normales soit strictement limitée aux technologies et produits spatiaux réellement critiques pour la sécurité.