Volume 2 : Vers de nouveaux sommets : les intérêts et l'avenir du Canada dans l'espace – Novembre 2012

Partie 3
Analyse et recommandations (suite)

Chapitre 3.2
Effectuer des acquisitions

Les marchés publics servent de catalyseur au secteur spatial canadien depuis sa création. Comme le gouvernement a toujours été un client important des actifs spatiaux et du savoir-faire dans ce domaine, l'émergence et la croissance de l'industrie spatiale canadienne — et des programmes académiques et de recherche axés sur l'espace — sont étroitement liées aux achats du gouvernement fédéral, que ce soit pour ses propres projets ou pour des initiatives entreprises en collaboration avec les agences spatiales d'autres pays, plus particulièrement la NASA et, dans une moindre mesure, l'ASE.

Cela ne veut pas dire pour autant que le gros des revenus de l'industrie provient directement des gouvernements canadiens; en fait, seulement un cinquième des revenus intérieurs proviennent directement des gouvernements canadiens, et l'industrie tire la moitié de ses revenus de ses ventes à l'étranger, ce qui en fait l'une des industries les plus axées sur les exportations au monde. Cependant, la plupart des ventes à l'étranger concernent des produits et services éprouvés, en particulier dans les domaines des télécommunications par satellite, de l'observation de la Terre et du traitement de données.

Mise à l'essai des actifs spatiaux

L'espace est un environnement hostile et inhospitalier, qui laisse peu de place à l'erreur. Étant donné les délais et le coût de la mise en place de la technologie dans l'espace, les concepteurs et les acheteurs procèdent par étape, mettant tout d'abord la technologie spatiale à l'essai au sol de manière aussi rigoureuse que possible, puis en testant un petit prototype ou des composantes dans l'espace pour obtenir un « historique de vol ». La deuxième étape de la mise à l'essai est importante, car il peut être très difficile, voire impossible, de prouver sur la terre ferme qu'une technologie fonctionnera sans faille dans l'espace, à un niveau élevé de rendement et pendant un certain nombre d'années, sans guère nécessiter d'entretien.

Pour les essais au sol, l'industrie et le gouvernement peuvent entre autres utiliser le laboratoire David-Florida (LDF) de l'Agence spatiale canadienne. Le LDF offre des installations et du matériel spécialisés, ainsi que le personnel de soutien nécessaire pour assembler tout l'engin spatial, ses sous-systèmes et ses grandes composantes, et vérifier leur qualification pour voler dans l'espace.

La phase de l'établissement d'un historique de vol suppose généralement l'obtention d'un vol dans l'espace, souvent en s'associant à une mission spatiale non apparentée. Les gouvernements jouent habituellement un rôle crucial dans l'obtention de ces possibilités grâce à des ententes internationales et à des accords de financement.

Le nouvel instrument de détection infrarouge appelé NIRST (pour New InfraRed Sensor Technology) est un exemple de technologie associée à l'historique de vol. Il a été mis en orbite en même temps que sept autres instruments lors du lancement d'un satellite argentin en 2011. Le NIRST a pour but de surveiller les températures à la surface de l'océan et des points chauds comme les feux de forêt et les activités volcaniques. Les détecteurs utilisés dans cette technologie ont été mis au point dans le cadre d'un partenariat entre l'Agence spatiale canadienne et l'Institut national d'optique, un établissement québécois.

Quand il s'agit de grands progrès technologiques et de l'établissement de la crédibilité sur le marché, le rôle de l'approvisionnement public demeure crucial. Même si la situation évolue petit à petit, peu d'investisseurs privés sont prêts à assumer les coûts et les risques requis pour créer quelque chose de nouveau pour l'espace, et aucun n'a la capacité du gouvernement pour ce qui est de démontrer le potentiel d'un nouveau produit en obtenant un « historique de vol ».

Cela dit, l'approvisionnement public ne peut manifestement pas reposer exclusivement sur le renforcement du secteur spatial national. Il s'agit également de répondre aux exigences opérationnelles des organismes utilisateurs et d'obtenir le meilleur rapport qualité-prix pour les contribuables. Ces trois grands objectifs — le prix, le rendement et la capacité industrielle — sont ceux mentionnés dans le volume complémentaire sur l'aérospatiale lorsqu'il est question des achats publics d'aéronefs.

Si l'on veut atteindre ces objectifs, il faut, une fois que le Programme spatial canadien est assorti de priorités et de plans clairs, que la portée de chaque projet soit établie rapidement et que les demandes de propositions incitent à la réduction des coûts, à une plus grande innovation et à la participation d'entreprises et d'établissements de recherche canadiens.

Recommandation no 5 : Définition rapide de la portée des projets

Comme le développement de pointe, la construction et la mise à l'essai d'actifs spatiaux prennent des années, et que ces actifs sont souvent conçus pour recevoir plusieurs charges utiles à diverses fins, la portée initiale du projet est généralement élargie, ce qui entraîne une hausse des coûts et des retards.

Il est recommandé que soit établie le plus tôt possible pendant la phase de définition des projets spatiaux une version définitive de la portée, des délais et des exigences en matière de rendement.

La portée du projet devrait être :

  • suffisamment détaillée pour veiller à ce que l'actif fournisse les services requis, mais suffisamment générale pour donner aux soumissionnaires la marge de manoeuvre voulue pour proposer un éventail d'approches permettant de répondre à ces besoins. Dans les faits, cela se traduira par des spécifications qui reposeront davantage sur le rendement et seront moins détaillées que celles qui ont été utilisées jusqu'à présent;
  • approuvée par le fonctionnaire supérieur de la direction de tous les organismes participant au financement ou utilisant le bien, par exemple les sous-ministres des ministères fédéraux;
  • définitive dès son approbation, sauf si des circonstances extraordinaires justifient une révision ultérieure.

La portée et la gestion des projets sont essentielles à la réussite d'un programme spatial. Les changements à la portée, la prorogation des échéances ou les ponctions dans les fonds de contingence du projet devraient être approuvés par un fonctionnaire supérieur de la direction ou un sous-ministre.

Recommandation no 6 : Soumissions concurrentielles qui encouragent l'innovation, contrôlent les coûts et renforcent l'industrie canadienne

En général, l'achat d'actifs et de services spatiaux pour des besoins gouvernementaux au Canada prévoyait un appel d'offres restreint et la participation relativement importante de responsables de l'ASC tout au long du processus de conception et de fabrication.

Quand les technologies en étaient à leurs balbutiements et que la capacité industrielle canadienne était limitée, cette méthode convenait peut-être. Elle a aidé à développer le secteur spatial canadien et à faire en sorte que le gouvernement obtienne les biens dont il avait besoin. Cependant, les budgets ont été réduits, les technologies ont évolué et la capacité industrielle a augmenté, ce qui justifie la modernisation de notre méthode d'acquisition d'actifs spatiaux.

Ces actifs pourraient inclure des satellites plus petits, qui coûtent une fraction du prix des gros satellites, peuvent être conçus et construits relativement vite et sont de plus en plus en mesure de fournir des données et des services utiles. Même si certaines applications nécessiteront toujours une plus grande plateforme, on peut optimiser l'utilisation des ressources en cas d'achat d'équipement et de services spatiaux en examinant toutes les solutions technologiques et matérielles et en déterminant la combinaison idéale pour chaque projet.

Il sera plus facile de trouver la combinaison optimale si le gouvernement réclame et examine différentes approches chaque fois qu'il envisage un approvisionnement dans le domaine spatial. Dans tous les secteurs, comme l'a constaté le Groupe d'étude sur les politiques en matière de concurrenceNote 4 en 2008, l'intensité de la concurrence stimule l'innovation et produit de meilleurs résultats à des prix inférieurs pour les clients. C'est vrai non seulement quand les clients sont des citoyens, mais aussi quand le gouvernement fédéral effectue des achats pour le compte de la population canadienne. Même si le nombre de grandes entreprises dans le secteur spatial demeurera toujours relativement petit, étant donné les coûts et les difficultés liés à la conception et à la fabrication des actifs spatiaux, il y a maintenant assez d'intervenants pour créer une saine concurrence en vue de l'obtention des deniers publics consacrés à l'espace.

La concurrence ne doit pas se traduire par un effritement de l'engagement à tirer parti des marchés publics pour renforcer le secteur spatial canadien. Tant que le secteur repose dans une large mesure sur ces approvisionnements, et aussi longtemps que d'autres pays exempteront les achats spatiaux des règles commerciales et les utiliseront pour encourager leurs propres secteurs, les répercussions positives sur l'industrie spatiale et le milieu de la recherche canadiens devraient être prises en compte lorsque des ressources publiques sont utilisées pour acheter des satellites et d'autres équipements et services spatiaux.

Les entreprises spatiales canadiennes ne s'opposent pas à la concurrence tant qu'elle est juste, équilibrée et transparente. En fait, une plus grande concurrence bien gérée devrait profiter à la fois au gouvernement en tant qu'acheteur et au secteur spatial canadien, puisqu'elle stimulera l'innovation et donnera aux entreprises la possibilité d'établir une série de partenariats dans le cadre de la préparation des soumissions.

Il est recommandé que les processus d'approvisionnement en actifs et services spatiaux soient de nature concurrentielle et que les propositions soient évaluées en fonction de leur prix, de leur respect des exigences définies et de leur valeur industrielle et technologique pour le secteur spatial canadien.

Pour maintenir les coûts à un bas niveau, stimuler la créativité et conserver une solide capacité interne, toute entreprise ou tout consortium d'entreprises qui respecte un seuil important de contenu canadien devrait être autorisé à présenter des soumissions pour les contrats fédéraux dans le domaine spatial. Les soumissionnaires devraient être encouragés à proposer des solutions innovatrices afin de répondre aux besoins du gouvernement — ce qui sera plus facile si ces besoins ont été définis à un niveau relativement général, comme il est expliqué dans la recommandation précédente.

Chaque proposition devrait inclure une explication détaillée des avantages industriels et technologiques concrets pour le secteur spatial canadien. Les avantages peuvent découler de la participation directe d'entreprises et d'établissements de recherche canadiens en tant que responsables de la soumission ou partenaires dans la soumission, d'engagements fermes à acheter les systèmes et composantes à des entreprises canadiennes, et d'investissements dans la recherche et la formation axée sur les compétences se rapportant au projet. Les avantages prévus devraient être évalués en fonction de leur incidence sur les capacités technologiques du secteur spatial canadien et son aptitude à développer et à vendre des produits et services au Canada et à l'étranger. La sélection des soumissions devrait tenir compte de cette incidence, ainsi que du coût total de la soumission et de la capacité de répondre aux besoins des utilisateurs.

[traduction] « Les approvisionnements du gouvernement dans le domaine spatial devraient reposer sur les besoins à satisfaire ou les problèmes à régler.

[…] Une consultation étroite entre l'industrie et le gouvernement sur les besoins des utilisateurs et les capacités de l'industrie devrait avoir lieu d'emblée, avant l'établissement de toute spécification technique. Ce processus permettra à l'industrie de proposer, et au gouvernement d'évaluer, des solutions de rechange pour satisfaire les besoins des utilisateurs, ce qui favorisera l'innovation et réduira les coûts. »

Télésat, mémoire présenté dans le cadre de l'Examen de l'aérospatiale.

Lorsque les efforts visant à encourager une concurrence accrue ne portent pas leurs fruits et qu'il n'y a qu'un seul soumissionnaire — peut-être en raison d'exigences particulières du projet ou du nombre limité d'intervenants dans l'industrie —, il faudra peut-être prendre des mesures spéciales pour veiller à ce que les coûts soient raisonnables et que les avantages pour le secteur spatial canadien soient intéressants. Ces mesures peuvent inclure la comparaison du prix de la soumission avec le coût de projets comparables menés dans d'autres pays, ou l'augmentation du seuil de contenu canadien.

Dans tous les cas, le processus d'approvisionnement devrait être dirigé par Travaux publics et Services gouvernementaux Canada (TPSGC), l'organisme fédéral le plus expérimenté dans les grands achats gouvernementaux. L'ASC devrait fournir des avis techniques à TPSGC, conjointement avec tous les organismes participant au projet, et consulter TPSGC et le fournisseur pendant la conception et la fabrication pour s'assurer que les jalons sont respectés. Dans la plupart des cas, toutefois, l'ASC ne devrait pas participer directement à ces activités de conception et de fabrication. Il faudrait accorder moins d'importance à la surveillance technique continue exercée par l'ASC et se pencher davantage sur l'établissement et le respect des obligations contractuelles des entreprises en ce qui concerne le développement et la livraison des produits. Des pénalités importantes seraient imposées en cas de sous-rendement ou de non-rendement. Il devrait incomber aux entreprises soumissionnaires de proposer et de fournir les biens et les services. Le gouvernement devrait agir comme un client avisé plutôt que comme un superviseur omniprésent.


Notes en bas de page

  1. 4 Groupe d'étude sur les politiques en matière de concurrence, Foncer pour gagner : rapport final, Travaux publics et Services gouvernementaux Canada, Ottawa, 2008. (Retour à la référence de note en bas de page 4)